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Je serai la forêt

Un corps marche sur la route

Les pieds touchent trop le sol

Lestés du poids des mots qui encombrent leur tête

Dure, la tête, de ce tout qui l’habite

Aucune souplesse

A chaque pas, les yeux au ras du sol fendent le goudron

Vision réduite

Le ciel est bas

Le ciel n’est plus

Au-dessus de ce corps qui marche

Le toit du monde

Le genre de monde que l’on ne veut plus pour abri

É-CRA-SANT

 

Poursuivre la marche cependant

Les pieds touchent trop le sol

Et retiennent le corps

[De quoi ?]

Mais dans les jambes, elle se réveille,

La créature.

Qu’elle forme a-t-elle ?

Image d’une ronce qui se déploie

Qui pousse à l’intérieur

Dans le corps

Ça pousse fort

Ou bien du lierre

Oui

Du lierre voudrait se déployer

Plus, Plus, PLUS

Dans ce corps trop étroit

 

 

 

Un jour, un corps ami a dit : « C’est difficile de parler, il faudrait que quelque chose craque »

 

[Observation :

Le lierre semble être en apnée de serrer aussi fort l’arbre autour duquel il s’enroule. Tout suffoque. Tout étouffe.

Quand on coupe une épaisse liane de lierre qui enserre un arbre, ça craque. Sourdement.

L’arbre respire a nouveau. Mieux. Son écorce garde les stigmates de la plante.

Est-ce un soulagement pour le lierre de ne plus serrer aussi fort le tronc, la branche, auxquels il s’attache ?

Ça craque. Sourdement.

Et en voyant une partie de lui le quitter et mourir, le lierre semble se détendre.]

Les pieds touchent trop le sol.

Et dans ce corps trop étroit

Le lierre pousse

Voudrait que le corps s’étire

Mais le corps s’étrique

Il faudrait que quelque chose craque

Devant, dans l’invisible, le corps saute, vol presque, virevolte

Danse légère sur le bitume

Corps-plume

 

La marche continue

Le corps piétine l’invisible

Et dedans, la créature gronde silencieusement de ne ne pouvoir s’étendre

 

La marche continue

Le goudron devient terre

Cailloux

Gravillons

Sable

Pierres

Branches

Brindilles

Feuilles

Boue

Roche

Herbes

Fleurs

Le sol devient sentier

Et autour, les arbres se font forêt

Le ciel s’ouvre au-dessus de la tête

La route s’étrécit

Et le corps grandit

Le lierre s’éclaircit

 

Le tout respire.

 

Je pénètre la forêt

Le calme. S’installe.

Ou bien est-ce la forêt qui me pénètre ?

Je sens les arbres.

La. Densité. Des arbres.

Ils sont. Là.

Certains veillent.

D’autres chuchotent.

Mon champ de vision s’élargit.

Mes sens s’affinent.

Mon corps aux aguets.

Ma peau entend le minuscule qui la frôle.

Je m’affûte. 

 

Et un jour je dirai

Je suis la forêt.

Karim Abdelaziz - Arbres qui tournent

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